Sur la place, des passants. A la sonnerie, les enfants sortent de l’école et courent vers le parc. Les journalistes boivent leur café en quittant la Dépêche. Devant la boulangerie, des dames discutent. Elles rient. Au pied des immeubles, j’entends de la musique. Une veille femme tire son chariot pour acheter des légumes au marché. Un couple va écouter ce concert au café culturel. Une petite fille apprend le français auprès d’un jeune retraité bénévole. L’été, on entend des enfants jouer dans la piscine de leur jardin. On ne les voit pas derrière les haies trop hautes. C’est la fête dans un des appartements de l’immeuble.
Je sens des odeurs de cuisine, j’entends des gens chanter et frapper dans leurs mains. Des jeunes zonent dans la rue. Ils font des roues arrière sur leurs vélos. Il y a un spectacle de feu sur le stade. Il fait froid mais la joie dans les yeux des enfants réchauffe.
J’ai envie de les connaître, qu’elles me racontent, qui ils sont, ce qui les met en joie, ce qui leur donne envie de se battre, de lutter, quelles musiques elles aiment.
Que pourrais-je leur chanter ? Comment les toucher, les surprendre, leur raconter qui je suis, mais aussi qui elle est, celle qui m’a appris cette chanson. Je voudrais la lui apprendre et qu’il m’apprenne la sienne, celle de son enfance, celle qui lui met les larmes aux yeux quand il pense à la famille qu’il a dû laisser derrière-lui pour venir ici, pour avoir une vie meilleure. Une vie où il ne connaît pas ses voisins.
Je chante dans la rue et elle me regarde, elle m’écoute. Elle me dit que cette chanson lui rappelle une chanteuse de son pays. Je marche dans le quartier, je rencontre un sourire.
C’est là, là que je crée, hors scène, hors des projecteurs, hors des micros et des haut-parleurs. Je me fais bousculer, chante ici, là, chez cette vieille dame, devant l’école de ces enfants, sur la place, dans la rue, pour qu’il s’arrête, pour qu’elle s’arrête, et chante avec moi. Pour que nous chantions dans ma langue, dans sa langue, pour que nous chantions dans la langue du quartier.

Mathilde Lalle